
TENGADE, LA COURONNE PEULH QUI SÉDUIT LE SÉNÉGAL MODERNE

Longtemps cantonné aux plaines brûlantes du Sahel, le Tengade — ce chapeau tressé en paille et cuir que portent les bergers peulhs — revient sur le devant de la scène. Symbole d’élégance, de résistance et d’identité, il s’invite désormais sur les têtes des stars et dans les rues des villes sénégalaises. Du chanteur Baaba Maal au capitaine des Lions Kalidou Koulibaly, jusqu’à Ayo, le lion mascotte des Jeux Olympiques de la Jeunesse Dakar 2026, le Tengade devient l’emblème inattendu d’une Afrique fière de son héritage.
Héritier du Sahel
Généralement de forme ovale, le Tengade est fabriqué à la main par des artisans peulhs. Sa structure en paille, consolidée de cuir teinté rouge ou chocolat, se distingue par une pointe décorative et une corde de cuir qui se noue sous le menton. Sa large circonférence, d’environ 40 cm, protège la tête du soleil ardent, un compagnon indispensable pour les bergers et caravaniers traversant les zones sahéliennes.
Au-delà de sa fonction pratique, il est un marqueur identitaire fort : « Un jeune Peulh n’est jamais bien habillé tant qu’il n’est pas coiffé d’un Tengade », dit un vieux proverbe. Symbole de virilité et de raffinement, il accompagne l’homme dans ses déplacements comme un prolongement de lui-même, aussi intime qu’un bâton de marche.
D’un outil pastoral à un signe de distinction
Son histoire s’ancre dans la mémoire du Fouta Toro. Selon la tradition, le Tengade aurait été popularisé au XIXᵉ siècle à l’époque de Cheikh Oumar Foutiyou Tall, fondateur de l’empire toucouleur. Ses disciples lui tressaient ces chapeaux pour le protéger des rayons du soleil pendant ses longues traversées. À l’époque, le matériau principal était la feuille de palmier ; la paille viendra plus tard, avec les artisans peulhs installés entre le Sénégal et le Mali.
Aujourd’hui, cet objet jadis pastoral est devenu un accessoire de mode. Dans les marchés de Dakar ou de Saint-Louis, les artisans proposent des versions revisitées : plus légères, plus stylisées, parfois brodées de motifs contemporains. Dans les festivals, les concerts ou les réseaux sociaux, le Tengade s’affiche désormais comme une signature esthétique.
Des icônes sous le chapeau
L’un des premiers à lui redonner ses lettres de noblesse est le chanteur Baaba Maal, originaire du Fouta. Lors de ses prestations à l’international, il arbore fièrement le Tengade comme un étendard culturel. Dans le sillage de cette reconnaissance, d’autres figures publiques s’en inspirent. On l’a aperçu dans des shootings stylisés ou des clips où la mode africaine s’entrelace avec l’artisanat traditionnel.


Plus récemment, Ayo, la mascotte officielle des JOJ Dakar 2026, a été présentée coiffée du Tengade. Un choix hautement symbolique : le lion, animal totem du Sénégal, coiffé d’un emblème peulh, incarne la rencontre entre la jeunesse, la tradition et l’universalité du sport. Ce geste, au-delà du folklore, dit quelque chose de fort : la culture sénégalaise ne se résume pas à une seule image, elle est un tissage de peuples, de gestes et d’objets.

Entre mémoire et modernité
Pour les artisans du Fouta et du Ferlo, le Tengade reste un savoir-faire à préserver. Dans les zones rurales, on continue de le tresser à la main, souvent en famille, selon des techniques transmises depuis des générations. Mais la modernisation et la rareté des matériaux menacent cette tradition. À Dakar, certains créateurs cherchent à lui donner une nouvelle vie, en l’intégrant dans des collections de mode éthique ou des projets de valorisation du patrimoine matériel.
Le Tengade n’est donc pas un vestige du passé, mais un miroir du présent : un objet de mémoire devenu trait d’union entre les cultures et les générations. En coiffer les têtes d’aujourd’hui, il rappelle que l’élégance africaine ne s’invente pas, elle se transmet, patiemment, dans la paille et le cuir, au rythme du vent du Sahel.





