
SERIGNE FALLOU MBACKÉ : LE TALIBÉ ABSOLU, L’HÉRITIER DE LA LUMIÈRE

Né un soir béni, dans le silence lumineux de la vingt-septième nuit du mois de Rajab — cette nuit sacrée où le Prophète Mouhammad (PSL) fit l’ascension céleste — Cheikh Mouhammadou Fadilou Mbacké, plus connu sous le nom de Serigne Fallou, n’est pas seulement venu au monde ; il a été envoyé. Envoyé comme un souffle, une lumière dans la nuit, un rappel vivant de la Présence divine au sein de la communauté mouride.
Sa venue au monde, en 1888 à Darou Salam, fut ressentie comme un signe céleste. Son père, Cheikh Ahmadou Bamba, dans un élan de reconnaissance spirituelle, affirma qu’il aurait recherché cet enfant même s’il n’était pas né dans sa maison. Ce n’était pas une naissance ordinaire, mais l’irruption du sacré dans la lignée de Khadimou Rassoul.
Dès l’enfance, Serigne Fallou se distingue. Le Coran s’ouvre à lui comme une source familière, et les sciences religieuses, il les absorbe avec la ferveur d’un cœur déjà tourné vers Dieu. Son apprentissage se fait sous les plus éminents maîtres : Serigne Ndame Abdourahmane Lô, Serigne Mame Mor Diarra, Serigne Mame Thierno Birahim, et surtout son propre père, dans le secret des nuits de Khomack, en Mauritanie. Là-bas, dans l’exil transformé en retraite spirituelle, se forge la relation fondatrice entre le Cheikh et le disciple. Car Fallou ne se considère jamais comme le fils du fondateur : il est, d’abord, son talibé, son serviteur, son prolongement.
Il ira jusqu’à écrire, dans un poème vibrant de soumission mystique :
« Je te vends mon rang de fils, pour acquérir la gloire d’être ton disciple. »
Et quand cette gloire lui est donnée, il la transforme en adiya, un don pieux, pour son Maître. Toute la trajectoire de Serigne Fallou se résume à cela : effacer son ego pour magnifier le message de Serigne Touba.
Son engagement dans la construction de la Grande Mosquée de Touba, depuis la découverte providentielle de la carrière de Ndock jusqu’à son inauguration en 1963, révèle un homme pour qui le ndigël (ordre spirituel) du Cheikh équivaut à une loi divine. C’est en s’appuyant sur ce même ndigël que, dès 1928, il accomplira le pèlerinage à La Mecque, réalisant ainsi le vœu non accompli de Cheikh Ahmadou Bamba.
Mais c’est surtout en tant que Khalife général des mourides, à partir de 1945, que Serigne Fallou révèle toute la dimension surnaturelle de sa personne. Sous son magistère, la peste recule, la famine s’éloigne, les pluies reviennent, et le pays respire. Le surnom qui lui est alors donné — « Na am mu am, du am du am » — n’est pas une flatterie : c’est un constat mystique. Quand Serigne Fallou demande, les éléments obéissent.
Un jour, il parle à un cheval rétif, lui fait la morale comme à un talibé, et l’animal pleure de repentir avant de devenir infatigable au travail. Comment expliquer ce lien avec les créatures, si ce n’est par la pureté d’un cœur entièrement remis à Dieu ? Un cœur si limpide qu’il reflète la volonté divine sans déformation.
Derrière l’aura de sainteté, Serigne Fallou était aussi un homme de peuple. Généreux, tendre, rieur, protecteur, défenseur des faibles, il savait se faire proche de tous, et ses interventions ont sauvé plus d’un justiciable du poids d’une condamnation injuste. Son rire, dit-on, pouvait détendre les cœurs les plus noués. Il portait sur lui cette douceur typique des êtres divinement inspirés, et cette fermeté bienveillante qui redresse sans blesser.
Son action pour Touba fut monumentale : bitumage, lotissements, électrification, forages, daaras, villages, œuvres sociales… Il était bâtisseur, dans tous les sens du terme. Mais plus encore, il était bâtisseur d’âmes.
Il n’est pas surprenant que son départ en 1968 ait été ressenti non comme une perte, mais comme un passage : le retour d’un waliyyoullah (ami intime de Dieu) auprès de son Seigneur. Une confidence mystérieuse le relie à la bataille de Badr, cette première victoire islamique : alors qu’un talibé moquait son jeune âge, il lui révéla — cicatrice à l’appui — qu’il portait la marque d’une blessure reçue à Badr. Était-ce une métaphore ? Une allégorie ? Ou une preuve céleste de sa nature spirituelle intemporelle ? À chacun sa foi.
Mais tous s’accordent : Serigne Fallou Mbacké est un puits sans fond de lumière, d’amour et de fidélité à la Voie de Cheikhoul Khadim.
Il n’a pas seulement dirigé la communauté mouride pendant 23 ans ; il a élevé des cœurs, bâti des certitudes, ancré des espérances. Il demeure, à jamais, une étoile dans la constellation des saints sénégalais.
Et si, aujourd’hui encore, des milliers de voix s’élèvent dans les prières en répétant son nom sept fois, ce n’est pas pour le glorifier — c’est pour rappeler au ciel qu’il existe, en bas, des âmes fidèles à celui qui fut et reste : le talibé par excellence.