
546 MAGISTRATS POUR 18 MILLIONS D’HABITANTS : CHEIKH BA ALERTE SUR UNE JUSTICE SUBMERGÉE

Invité ce dimanche de l’émission Point de Vue sur la RTS, le président de l’Union des magistrats du Sénégal, Cheikh Ba, a livré un diagnostic sans fard sur l’état de la justice. Entre déficit d’effectifs, surcharge des cabinets d’instruction et explosion de la population carcérale, son intervention a mis en lumière un appareil judiciaire sous haute pression.
D’emblée, Cheikh Ba a rappelé que la magistrature sénégalaise demeure l’une des plus solides du continent, héritière d’une tradition qui, selon lui, « la place sur le toit du monde ». Il souligne la compétence et l’intégrité des hommes et des femmes qui composent cette institution, même si l’opinion ne retient souvent que la partie la plus spectaculaire de leur travail : la justice pénale. À ses yeux, l’hypertrophie médiatique de quelques affaires politiques crée une perception déformée d’un système dont les missions sont beaucoup plus larges.
Le cœur de son propos s’est néanmoins focalisé sur la charge de travail devenue insoutenable pour la magistrature. Le Sénégal compte aujourd’hui 546 magistrats pour 18 millions d’habitants, dont seulement 425 en juridictions. Le reste est réparti entre la Cour suprême, l’administration centrale ou en position de détachement. Les exemples qu’il donne illustrent la situation : à Kaolack, un seul juge d’instruction porte à lui seul près de 750 dossiers ; à Ziguinchor, un magistrat gère 250 dossiers. La situation à Dakar est encore plus révélatrice, avec des cabinets d’instruction dépassant fréquemment les 400, 500 voire 600 dossiers en cours. Le cinquième cabinet atteint ainsi 641 affaires, tandis que le quatrième en totalise 602. Cette surcharge chronique met à mal le principe de célérité et explique, selon lui, les frustrations récurrentes des justiciables.
Le déficit de greffiers participe également à cette paralysie progressive. Alors qu’il faudrait deux greffiers par magistrat pour un fonctionnement normal, le pays n’en compte que 552 au total, dont plusieurs en détachement. Pour Cheikh Ba, « la justice n’est pas lente, elle est submergée », et il estime que l’opinion gagnerait à comprendre les contraintes structurelles dans lesquelles les magistrats opèrent.
Interrogé sur la pratique des mandats de dépôt, sujet particulièrement sensible, il rejette toute idée de systématisme. Selon lui, les décisions sont prises au cas par cas, en fonction de la gravité des faits et des impératifs de sécurité publique. Relâcher un individu violent, dangereux ou récidiviste ne se résume pas à un arbitrage technique, mais à un choix responsable. Il rappelle toutefois que le juge d’instruction reste totalement indépendant et peut clore certains dossiers en un mois lorsque les conditions sont réunies.
L’explosion de la population carcérale constitue l’autre bombe silencieuse du système. Le Sénégal n’a construit aucune nouvelle grande prison depuis l’indépendance, alors que les établissements existants dépassent désormais trois fois leur capacité d’accueil. Au 10 novembre 2025, on dénombrait 15 654 détenus dans le pays, dont 7 077 en détention provisoire. Cette pression met l’administration pénitentiaire au bord de la rupture, même si, selon Cheikh Ba, elle parvient jusqu’ici à éviter des crises majeures, hormis quelques incidents isolés.





