
DIASPORA BONDS : L’ÉPARGNE PATRIOTIQUE AU SERVICE DU DÉVELOPPEMENT

Le Sénégal s’apprête à mobiliser une ressource financière à la fois proche et stratégique : l’épargne de ses ressortissants établis à l’étranger. Inscrits dans la Stratégie de gestion de la dette à moyen terme (2025-2027), les « diaspora bonds » figurent désormais parmi les instruments privilégiés pour diversifier les sources de financement de l’État, réduire l’exposition au risque de change et renforcer l’ancrage domestique de la dette. Le Premier ministre, accompagné du ministère des Finances et du Budget, a récemment réitéré cette orientation lors d’une tournée à l’étranger, signe d’une volonté d’accélérer le passage de l’intention à la mise en œuvre.
Concrètement, un diaspora bond est un emprunt obligataire émis par un État — ou, le cas échéant, une entité publique — et prioritairement destiné à la diaspora. Les souscripteurs prêtent des fonds pour une durée déterminée et perçoivent des intérêts réguliers jusqu’au remboursement du capital à l’échéance. L’objectif est double : proposer à la diaspora un placement sûr et lisible, et permettre au pays de financer des projets structurants dans des conditions maîtrisées, idéalement en monnaie locale pour limiter les aléas de change. « Pour le cas du Sénégal, ce sont les Sénégalais de la diaspora qui deviennent des prêteurs », résume l’économiste Mamadou Ngom, tout en rappelant que l’instrument peut, selon le cadrage retenu, rester ouvert à d’autres investisseurs expatriés.
Le Sénégal ne part pas de zéro. En 2019, la Banque de l’Habitat du Sénégal (BHS) a expérimenté le mécanisme sur le marché régional de l’UEMOA. Les titres « DIASPORA BONDS BHS 6,25 % 2019-2024 », diffusés au prix de 10 000 FCFA l’unité entre le 16 mai et le 30 juin 2019, visaient un montant de 20 milliards FCFA. L’opération a été clôturée avec un taux de souscription de 114 % et une participation significative de la diaspora africaine, issue de 26 pays pour près de 43,37 % de la levée. Admis à la cote de la BRVM le 3 décembre 2019 (symbole BHS.01), ces titres ont fait l’objet d’un dernier paiement d’intérêts et du remboursement du capital le 10 juillet 2024, avant leur retrait de la cote. Ce précédent envoie un signal clair : bien structuré, correctement distribué et accompagné d’une information transparente, l’outil trouve sa place dans l’écosystème financier régional.
Le contexte actuel renforce l’intérêt de cet instrument. Après plusieurs années marquées par une hausse du déficit et un recours soutenu aux marchés extérieurs, l’orientation vers des financements en monnaie locale s’inscrit dans une logique de prudence et de soutenabilité. Dans une tribune dédiée, le consultant international et auteur du livre « Diplomatie économique : les clés de la prospérité pour le Sénégal », Babacar Sané Ba souligne que, contrairement aux eurobonds exposés aux mouvements de taux internationaux et aux pressions de change, les diaspora bonds s’appuient sur un capital social et émotionnel : l’attachement des expatriés au pays. Ce « dividende de confiance » peut permettre de lever des fonds à des conditions compétitives tout en associant directement la diaspora à la réalisation de projets d’intérêt général.
L’expérience internationale apporte des repères utiles. Israël en a fait un pilier de son financement depuis les années 1950, avec une continuité de gouvernance et de reporting qui a consolidé la confiance. L’Inde y a recouru à plusieurs reprises, notamment lors de phases de tension sur la balance des paiements, en mobilisant sa diaspora pour amortir le choc extérieur. En 2017, le Nigeria a levé 300 millions de dollars en une journée auprès de ses diasporas basées au Royaume-Uni et aux États-Unis, avec des agréments des autorités de marché locales (FCA, SEC), démontrant l’importance du respect des standards de conformité lorsque l’offre est distribuée à l’international. L’Éthiopie a également utilisé cet outil pour financer des infrastructures énergétiques, illustrant son intérêt pour des projets bien identifiés et à fort impact.
Au-delà du principe, la crédibilité du dispositif repose sur quelques exigences de fond. D’abord, la transparence : un pipeline de projets clairement fléché — énergie, infrastructures, éducation, santé, transformation agricole et numérique — avec un calendrier, des budgets, des indicateurs d’exécution et des rapports publics réguliers. Ensuite, la simplicité du produit : des seuils d’entrée accessibles, des canaux digitaux adaptés aux réalités de la diaspora, un accompagnement KYC/AML fluide et un service après-vente réactif. Le cadre fiscal doit être lisible et stable ; des économistes, à l’instar de Mamadou Ngom, rappellent que les maturités égales ou supérieures à cinq ans peuvent bénéficier d’un traitement incitatif, sous forme d’avantages fiscaux, afin d’encourager l’épargne longue. L’économiste Boubacar Camara insiste également sur l’importance d’une campagne d’information ciblée et d’incitations attractives, et sur la possibilité d’associer les représentants de la diaspora aux choix des projets afin de renforcer l’adhésion.
La question de la monnaie d’émission est centrale. Une structuration en FCFA permet de réduire la vulnérabilité aux fluctuations de change et d’ancrer davantage le marché de la dette domestique. Dans le même temps, une part libellée en devises fortes détenues par la diaspora peut offrir une porte d’entrée à des souscripteurs qui perçoivent et investissent majoritairement en euros, dollars ou livres sterling. Dans tous les cas, la discipline de gestion et la qualité du reporting restent les meilleurs garants de la confiance dans la durée.
Ce nouvel élan intervient dans un moment où les autorités multiplient les signaux d’intégration de la diaspora dans la stratégie de développement, avec l’ambition affichée de consolider le lien institutionnel et économique entre la Nation et ses ressortissants établis hors du territoire. Les transferts de fonds demeurent considérables ; l’enjeu est désormais d’en capter une part croissante vers l’investissement productif, en complément des envois destinés aux dépenses courantes des ménages. « Un diaspora bond n’est pas un don, c’est un placement à rendement et à impact », résume un cadre du secteur, rappelant qu’il s’agit d’un contrat financier encadré, appuyé sur la signature de l’État et adossé à des projets tangibles.
À l’échelle de la Vision Sénégal 2050, l’outil peut jouer un rôle de catalyseur : élargir la base d’investisseurs, renforcer l’épargne longue, accélérer la réalisation d’infrastructures prioritaires et, surtout, donner corps à une dynamique de co-construction avec la diaspora. La réussite, toutefois, ne relève ni de la communication seule ni du seul patriotisme économique. Elle tiendra à la rigueur de la gouvernance, à la clarté des règles et à la constance des engagements pris vis-à-vis des souscripteurs. Le précédent de la BHS a montré qu’un montage solide pouvait aboutir, du placement initial à l’ultime remboursement, dans le respect des échéances. L’ambition, aujourd’hui, est d’en faire un levier récurrent, à l’échelle souveraine, au service d’un développement maîtrisé et partagé.