
SERIGNE MOUNTAKHA, HÉRITIER DE LA CONSTANCE ET DE LA LUMIÈRE DE CHEIKHOUL KHADIM

Dans le tumulte de ce siècle, où les âmes se perdent dans le bruit des ambitions et la poussière des illusions, se tient un homme dont la simple présence réoriente les cœurs vers l’essentiel. Serigne Mountakha Bassirou Mbacké, huitième Khalife général des Mourides, est l’héritage vivant de Cheikh Ahmadou Bamba, non seulement par le sang, mais par la profondeur de l’engagement, la pureté de l’intention et la fermeté de la foi.
Sa silhouette, reconnaissable entre toutes, se découpe dans la lumière des grandes occasions : boubou ample et blanc comme une invocation silencieuse, barbe immaculée soigneusement taillée, paupières blanchies par l’âge mais illuminées d’un regard profond, lunettes transparentes laissant filtrer l’éclat de ses yeux, sourire discret qui apaise avant même qu’il ne parle. Il marche avec cette lenteur volontaire des sages, chaque pas pesé comme un dhikr, chaque geste porteur de sens.
Né en 1930 dans le giron béni de Darou Miname, fils de Serigne Bassirou Mbacké – Borom Darou Miname – il est nourri dès son enfance à la source pure du Coran, des khassaïdes et des sciences religieuses. Son éducation, marquée par la rigueur et la contemplation, forge en lui une stature d’homme de Dieu avant même qu’il n’embrasse la charge du Khalifat. Il étudie, médite, sert, s’efface. Dans l’ombre de ses illustres frères, il apprend l’art du silence fécond et de la patience fertile.
Son parcours spirituel est celui d’un serviteur loyal. Les grands khalifes qui l’ont précédé – Serigne Saliou, Serigne Mouhamadou Lamine Bara, Serigne Sidy Mokhtar – le choisissent comme homme de confiance, médiateur dans les moments de tension, messager discret dans les affaires délicates. Il ne parle jamais pour imposer, mais pour pacifier ; il n’agit jamais pour paraître, mais pour servir. À lui, on confie la réconciliation des cœurs blessés, des familles divisées, des frères qui se sont éloignés. Sous son influence, les rancunes se dissolvent comme brume au soleil.
Lorsqu’il accède au Khalifat, le 10 janvier 2018, à l’âge de 88 ans, c’est toute la communauté qui comprend que la lignée spirituelle de Cheikhoul Khadim continue sans rupture. Ce n’est pas un changement de guide : c’est la permanence du souffle. Son premier geste est une main tendue à toutes les confréries musulmanes et aux autres religions, pour rappeler que l’harmonie est la clé de la force, et que la paix sociale est un trésor sacré que rien ne doit entacher.
Il n’est pas seulement un guide spirituel, il est un bâtisseur dans le sens le plus noble. À travers la mosquée Massalikoul Jinane, dont il a posé la première pierre sous le Khalifat de Serigne Saliou et qu’il inaugure comme Khalife, il inscrit dans la pierre un symbole de rayonnement et d’unité. Avec le projet monumental du Complexe Cheikh Ahmadou Khadim, il poursuit le rêve du fondateur : faire de Touba un centre universel du savoir, où la science est un chemin vers Dieu.
Sa générosité est silencieuse mais immense. Des millions de francs offerts aux victimes d’incendies, d’inondations, aux familles endeuillées par l’émigration clandestine, aux malades, aux nécessiteux… Ces gestes, il les accomplit sans jamais chercher l’éclat médiatique. Ses mains donnent comme on respire : naturellement, sans ostentation.
Mais au-delà des œuvres visibles, son héritage le plus profond est dans la direction intérieure qu’il donne à sa communauté. Il exhorte inlassablement au travail, à la droiture, à l’éducation des âmes. Dans ses discours, il rappelle que l’Islam se défend par la connaissance, la pureté des intentions et l’unité des croyants. Dans le contexte préélectoral de 2018, il met en garde les politiques contre les discours qui sèment la discorde et leur rappelle que la paix est un devoir sacré au-dessus des rivalités.
Et pourtant, celui qui parle ainsi n’a rien de l’homme qui cherche à dominer. Son humilité est un manteau qui recouvre même ses gestes les plus grands. On le voit souvent assis à même le sol, penché sur un exemplaire du Coran ou un recueil de khassaïdes. Ses yeux s’emplissent de larmes lorsqu’il évoque Cheikh Ahmadou Bamba, comme si, malgré l’âge et la charge, il restait avant tout le disciple émerveillé devant son maître.
Cette combinaison rare de douceur et de fermeté fait de lui un roc dans les tempêtes. Quand la dignité de la confrérie est attaquée, il ne tremble pas : sa voix se fait plus ferme, ses mots plus tranchants, rappelant que défendre la vérité est un devoir sacré, même pour celui qui préfère la paix au conflit.
Il est aussi un cultivateur au sens mystique et concret. Ses champs à Darou Salam Tipe ne sont pas seulement des terres de récolte : ils sont un prolongement de sa philosophie, un rappel que le travail manuel est noble et que nourrir les corps participe à nourrir les âmes. Le daara qu’il y a fondé est une pépinière de foi, où il transmet directement l’enseignement de son grand-père aux jeunes générations.
À 95 ans, Serigne Mountakha est la voix douce qui appelle à l’unité, la main ferme qui préserve l’orthodoxie, le cœur vaste qui accueille les détresses du monde. Sa vie entière est une démonstration que la véritable grandeur est dans le service humble, que la force d’un guide ne se mesure pas à l’autorité qu’il impose mais à l’amour qu’il inspire.
Ainsi, lorsqu’on le voit, on comprend que son Khalifat n’est pas une fonction, mais une mission sacrée. Il est le souffle de Touba, la constance d’un pacte passé entre Cheikh Ahmadou Bamba et Dieu, transmis de génération en génération. Sa marche est celle d’un héritier qui sait que chaque pas laisse une empreinte dans le sable du temps, et que chaque empreinte doit guider vers la lumière éternelle.