Sa voix éclairait le monde. Aujourd’hui, elle s’est tue. Jimmy Cliff, icône intemporelle du reggae et incarnation vivante de la résilience jamaïcaine, s’est éteint à 81 ans, laissant derrière lui un héritage qui continue de vibrer comme une pulsation solaire. Ironie douce-amère : celui qui chantait I Can See Clearly Now nous laisse dans une brume mélancolique, orphelins d’une lumière qui guidait le reggae depuis plus de six décennies.

Une lueur née dans les vibrations du ska

Avant de devenir l’ambassadeur planétaire de la Jamaïque musicale, Jimmy Cliff – né James Chambers – est d’abord un gamin de St-James fasciné par les rythmes américains. À 14 ans, il pousse la porte de Leslie Kong, chante à cappella un texte qu’il vient d’écrire… et le producteur en fait un enregistrement. Hurricane Huttie deviendra son premier succès.
Les sixties jamaïcaines bouillonnent : le ska, bientôt le rocksteady, puis le reggae. Cliff, lui, traverse ces métamorphoses sans se trahir. Déjà, sa voix claque, pure, ample, urgentissime. Il croise un jeune Robert Nesta Marley, l’aide à enregistrer Judge Not. Deux destins viennent de s’effleurer.

Le grand tournant : Island Records et la révélation mondiale

Lorsque Chris Blackwell, patron visionnaire d’Island Records, parie sur lui, le monde entend pour la première fois la puissance émotionnelle de Jimmy Cliff.
Vietnam, que Bob Dylan qualifiera d’« hymne absolu contre la guerre », porte sa fibre militante. Wonderful World, Beautiful People révèle sa capacité rare à faire danser les consciences.

Puis vient You Can Get It If You Really Want. Une philosophie autant qu’un tube, un mantra porté par un optimisme qui ne sombrera jamais.

The Harder They Come : naissance d’un mythe

En 1972, son visage et sa voix explosent à l’écran. The Harder They Come installe Jimmy Cliff au panthéon. Rude boy rebelle, victime et héros, il personnifie l’urgence sociale d’une Jamaïque en tension. La bande-son, dont il signe plusieurs titres, devient la pierre angulaire du reggae moderne.

Ce film ne lui donnera pas seulement une notoriété internationale ; il scellera son statut de passeur, celui qui fait entrer la Jamaïque dans les circuits culturels mondiaux.

Les années 80–90 : mutation sans renoncement

Jimmy Cliff n’a jamais eu peur du métissage. Pop, disco, world music : il s’y aventure avec la même sincérité que dans ses racines rasta.
The Power and the Glory lui vaut un Grammy. Et en 1993, sa reprise radieuse de I Can See Clearly Now propulse la bande-son de Rasta Rockett dans l’histoire, offrant un pont inattendu entre reggae et cinéma populaire.

Dans cette version lumineuse, Jimmy Cliff transfigure le morceau : plus qu’un remake, une renaissance.
Aujourd’hui, c’est ce titre qui résonne le plus. Parce qu’il disait l’espoir après la tempête. Parce que les tempêtes, il les avait toutes traversées.

Une carrière vaste comme un continent musical

Plus de 22 albums, des centaines de concerts sur tous les continents, une influence diffuse, chez les reggae men, les punks, les artistes pop, les musiciens africains, sud-américains, caribéens. Jimmy Cliff était un nom-totem, un point cardinal.

Malgré l’ombre immense de Bob Marley, il n’a jamais cessé d’arpenter le monde, de défendre le message du reggae : humanisme, résistance, solidarité. Homme de scène, auteur pour les autres, acteur rare mais marquant, il a traversé les genres sans jamais perdre l’étincelle.

La lumière continue

Dans un message empreint de douceur, son épouse a salué « son courage, sa force et l’amour de ses fans, qui l’ont accompagné tout au long de sa carrière ». La disparition de Jimmy Cliff laisse un vide, mais pas un silence.
Sa voix, captée dans les sillons d’albums cultes, dans la fulgurance de The Harder They Come, dans la clarté solaire de I Can See Clearly Now, continue de rayonner.
Elle nous rappelle que le reggae, avant d’être un rythme, est un souffle : celui de l’espoir face à la dureté du monde.

Et aujourd’hui, oui : Le monde semble moins clair.
Mais Jimmy Cliff, lui, demeure un phare dans la brume.