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LAT-SUKAABE, « BOROOM FUKKI JABAR AK ÑAAR YI »

a-la-une
13 sept. 2025
a-la-une

Le nom de Lat-Sukaabe Ngóone Jéey, Dammeel du Kajoor et Teigne du Bawool de 1697 à 1719, reste gravé dans la mémoire sénégalaise. Sa figure, aujourd’hui largement reprise sur les réseaux sociaux, intrigue par son épithète resté fameux : boroom fukki jabar ak ñaar yi ak juróom benni goro, « l’homme aux douze épouses ». Mais derrière cette formule se cache un véritable projet politique : celui d’un souverain réformateur qui a profondément marqué l’histoire de la Sénégambie et dont l’héritage a nourri la résistance de son descendant, Lat Dior.

Un souverain dans un contexte de mutations

À la fin du XVIIe siècle, la Sénégambie est bouleversée par l’expansion du commerce atlantique et l’affaiblissement du système politique hérité de l’empire du Jolof. Les royaumes wolofs sont traversés par des rivalités incessantes, tandis que l’aristocratie peine à contenir les bouleversements économiques.

Lat-Sukaabe, issu du xeet des Géej par sa mère Ngoné Dièye, monte sur le trône en 1697. En réunissant les couronnes du Kajoor et du Bawool, il se retrouve face à une double tâche : affermir son autorité et réorganiser l’État.

Réformes et centralisation du pouvoir

Selon Mamadou Diouf (Le Kajoor au XIXe siècle, Karthala, 2014), Lat-Sukaabe engage une rupture profonde avec l’ordre traditionnel dominé par les grands notables et les lignages nobles.

  • Il confie des postes clés à ses captifs (jaam), leur donnant un rôle inédit dans l’armée et l’administration.
  • Il fonde la première garde royale équipée d’armes à feu, constituant une armée permanente.
  • Il ouvre des responsabilités aux castes artisanales (ñeeño).
  • Il s’appuie sur les marabouts (doomi-soxna), dont l’autorité religieuse renforçait sa légitimité.

Abdoulaye Bara Diop (La société wolof. Tradition et changement, 1981) note que cette politique lui permit de neutraliser l’hostilité des familles nobles et d’asseoir un pouvoir plus centralisé et inclusif.

Le mariage comme stratégie politique

La postérité a retenu surtout son surnom lié à ses épouses. Pourtant, ce choix n’avait rien d’anecdotique. Dans une société où la filiation maternelle conditionnait la légitimité politique, multiplier les unions était une façon d’absorber et de contrôler les alliances.

En épousant les princesses issues des principales familles, Lat-Sukaabe verrouillait le jeu dynastique. Ses enfants bénéficiaient d’une exclusivité d’alliances qui empêchait l’émergence de prétendants concurrents. Comme le souligne Bassirou Dieng (Société wolof et discours du pouvoir, 1994), cette politique matrimoniale fut l’une des armes les plus subtiles de sa domination.

Pour symboliser sa puissance, Lat-Sukaabe fonde Màkka, nouvelle capitale à la frontière du Kajoor et du Bawool. Les griots ont immortalisé sa beauté et sa prospérité, chantant : Màkka neex na — « Màkka était belle ».

La ville incarne l’apogée du règne. Mais après la mort du Dammeel en 1719, les luttes de succession dégénèrent en guerres fratricides, affaiblissant l’unité que Lat-Sukaabe avait bâtie.

L’héritage prolongé par Lat Dior

Plus d’un siècle plus tard, son descendant Lat Dior Ngóone Latiir Jóob hérite de ce double legs : le nom et les institutions. Intronisé sous le titre de Lat-Sukaabe II, il deviendra l’un des plus grands résistants face à l’expansion coloniale française.

Oumar Ba (La pénétration française au Cayor, 1976) rappelle que l’organisation centralisée du Kajoor, héritée du règne de Lat-Sukaabe, fut l’une des raisons pour lesquelles le royaume opposa une si forte résistance aux gouverneurs français, de Faidherbe à Pinet-Laprade.

Ainsi, Lat Dior s’inscrit dans la continuité d’une tradition politique forgée par son aïeul : un État fort, une légitimité consolidée et un esprit de résistance à toute domination extérieure.

Une mémoire toujours vivante

Aujourd’hui, la figure de Lat-Sukaabe continue d’inspirer. Sur TikTok et Facebook, son nom circule souvent, mais pas toujours avec la même approche. Certains contenus se concentrent sur le côté spectaculaire du « roi aux douze épouses ».

À l’inverse, des pages comme celle de Lorenzo Italia entreprennent un travail de vulgarisation historique sérieux. En retraçant la véritable histoire du Dammeel, Lorenzo contribue à réhabiliter une mémoire longtemps confinée aux récits de griots et aux ouvrages spécialisés. Cette approche permet à un large public de redécouvrir Lat-Sukaabe, non comme une caricature, mais comme un acteur majeur de l’histoire sénégalaise.

Plus qu’un roi polygame

Lat-Sukaabe fut bien plus qu’un souverain entouré d’épouses. Réformateur, stratège, bâtisseur et diplomate, il transforma les structures de son temps et fit du Kajoor-Bawool une puissance politique majeure. Son héritage, prolongé par Lat Dior, irrigue encore aujourd’hui la mémoire nationale.

En redonnant vie à son histoire, chercheurs, griots et vulgarisateurs comme Lorenzo Italia nous rappellent que l’histoire du Sénégal s’éclaire toujours davantage lorsqu’on prend la peine de la raconter dans toute sa profondeur.

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