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SOULEYMANE FAYE, L’ORFÈVRE DES MOTS

a-la-une
27 sept. 2025
a-la-une

Il a appris les mots comme on polit une planche : à la lime, au papier de verre, à la patience. Ancien menuisier-ébéniste, Jules — Diego — Souleymane Faye façonne ses chansons comme on dresse une table : on choisit l’essence, on écoute le veinage, on laisse parler la matière. « L’inspiration, elle vient de ce que je vis, vois et ressens. Mes chansons, c’est moi, c’est la société, la vie », confiait-il. Tout est là : une œuvre qui respire la rue, la foi, le rire, le deuil, Dakar et le monde.

En janvier 2026, l’UCAD lui consacrera un colloque international (22-23 janvier) pour ses cinquante ans de carrière. Un hommage à « l’artiste hors normes » qui, entre satire sociale, liberté artistique et innovation, aura incarné des luttes culturelles majeures. Mais un colloque peut-il vraiment enfermer Diego ? Lui qui commence toujours par un titre, qui s’arrête quand « ça coince », quitte à mettre trois ans pour accoucher d’un morceau, qui écrit en wolof et parfois en français — « Français débrouillé » — pour mieux se jouer des langues et de leurs malentendus.

Son histoire n’est pas linéaire, elle est syncopée. Garçon de Gambetta (Lamine Guèye), orphelin trop tôt, élevé dans la rigueur et la tolérance maternelle, formé à la menuiserie chez l’oncle, il passe des ateliers aux répétitions de quartier. À dix-neuf ans, il prend la musique au sérieux, se frotte à Rufisque, côtoie les orchestres, puis file à l’aventure : Europe clandestine, France-Espagne-Italie, retour à Dakar sans un sou mais avec une voix qui ne connaît pas la fatigue. Le Novotel lui tend un micro ; il y traduit Johnny, Brel, Goldman, Brassens, perfectionne un français appris « dans le travail », et c’est là que Prosper Niang (Xalam) entend la singularité : un chanteur, oui, mais surtout un parolier à la respiration neuve.

Avec Xalam, le monde s’ouvre : « Dooley », « Xarit », « Ndigël ». Héritier libre de Fela Kuti, voisin des timbres de Hugh Masekela, échos d’Osibisa et d’Ifang Bondi, il inscrit le wolof dans des architectures afro-jazz et fusion. Pourtant, sa légende tient aussi à l’écart : des tensions, une porte claquée, un hiver canadien qui finit… à pied vers New York, guitare sur le dos. Est-ce une fable ? Peu importe : c’est du Jules, donc c’est vrai dans la bouche de ceux qui l’aiment — vérité poétique, vérité de route.

Rester. C’est l’autre geste fondateur. Au moment où une carrière internationale lui tend les bras, il choisit Dakar. « Aucune richesse ne compense l’absence d’un père. » Entre l’Europe et les enfants, il tranche : la présence. Cette éthique intime traverse ses disques : « Fukki Junni » (Habib Faye), « Yëgulooma », « Sogui » — l’ami perdu qui ancre pour toujours la voix dans la fragilité —, « Français débrouillé », « Pain Boulette », « Nitki », « Ndogal ». Il y a du Brel chez lui : l’homme libre, la grimace tendre, l’ironie comme scalpel et baume. Il y a aussi du théâtre : blagues qui coupent la chanson puis la reprennent sans couture, entrées loufoques, valise sur la tête, costume de lutteur, visage-miroir des foules.

On l’a parfois appelé le « Bob Dylan sénégalais ». L’étiquette est paresseuse mais pas infondée : même appétit pour les images qui cognent, même fidélité à une guitare qui raconte le monde, même capacité à se réinventer et… à disparaître. Diego s’éloigne, Diego revient. Chaque réapparition a la fraîcheur d’une première fois, et son public, fidèle, y reconnaît ce « second degré » qui transforme la satire en tendresse vigilante. Sa voix — instrument polymorphe — sait parler, chanter, crier, choquer, cajoler ; elle sait dire l’amour, la douleur, la beauté, avec cette manière de sourire au bord du gouffre.

Sa curiosité n’a jamais vieilli. GO au Club Med hier, spectateur attentif du hip-hop, il écoute, il apprend. « Apprendre », mot-fil rouge. Il peut citer Brel et aller en studio avec Didier Awadi, dialoguer avec Coumba Gawlo Seck (« Gawlo & Diégo »), reformer Xalam en 2008 sans renier son indépendance, chanter pour l’inter-religieux (« Islamo-chrétien »), se prêter aux expériences métisses, puis, en août 2025, prêter son timbre à « Arva » de Jahman aux côtés de Kiné Lam et Soda Mama Fall. Chaque détour n’est pas une parenthèse : c’est un chapitre de la même biographie sensible.

Ce qui frappe, chez lui, c’est la matière des textes. Parolier-sculpteur, « architecte des mots », il taille des doubles sens comme des moulures. Il y a de l’atelier dans son écriture : on commence par le titre, on ajuste, on s’arrête, on revient. Les chansons deviennent des meubles de famille : elles durent, se patinent, se transmettent. Et quand il reprend « Ne me quitte pas », on entend non pas un hommage mais un transfert : Brel parle wolof, Jules parle Brel, et Dakar devient un port où les langues accostent sans visa.

Diego n’est pas un genre ; il est un passage. Afro-jazz, soul, pop, acoustique intime, chronique sociale, prière murmurée : il refuse le ghetto des étiquettes, contourne le mbalax comme on prend une ruelle pour mieux rejoindre la place, arrive toujours où on ne l’attend pas. Il a la foi des artisans : celle qui ne s’exhibe pas mais infuse. « Dans la vie, on a besoin de repères », dit-il. Les siens sont visibles : une mère boussole, des enfants port d’attache, une ville qui le suit quand il s’échappe, un pays qu’il gronde en souriant.

Alors, que fêtera-t-on en 2026 ? Cinquante ans d’une carrière, certes. Mais plus encore la cohérence d’une indiscipline : la constance d’un homme qui aura préféré la justesse à la vitesse, la proximité à la promesse, la liberté au confort. On dira « icône », « pionnier », « meilleur parolier ». On pourrait dire plus simplement : compagnon. Car si ses chansons sont « lui, la société, la vie », elles sont aussi nous. À chaque reprise de « Tëyluleen », à chaque souffle de « Nitki », à chaque clin d’œil de « Français débrouillé », nous nous reconnaissons — avec nos failles, nos éclats, nos contradictions, notre humour malgré tout.

Souleymane Faye est de ces artistes qui n’entrent pas dans un vitrail : ils ouvrent la fenêtre. Le vent qui passe porte des rires et des colères, des prières et des slogans, des souvenirs et du possible. Et si l’UCAD veut interroger l’œuvre, qu’elle n’oublie pas d’écouter le silence entre les mots : c’est là que Diego recommence une chanson, recommence une vie, recommence — encore — à nous tenir ensemble.

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